- COMPTE (MONNAIE DE)
- COMPTE (MONNAIE DE)COMPTE MONNAIE DEComplètement tombé en désuétude de nos jours, le système de la monnaie de compte est la base de la pratique monétaire médiévale; déjà esquissé à l’époque des grandes invasions, il s’est prolongé jusqu’à la réforme monétaire de la Révolution française. Dans ce système, les deux fonctions essentielles de la monnaie, comme mesure des valeurs et comme moyen de paiement, sont séparées l’une de l’autre. Ce divorce des deux fonctions de la monnaie, imposé à l’origine par la raréfaction des espèces métalliques, est si bien entré dans la mentalité médiévale qu’il s’est maintenu quand les conditions qui l’avaient créé ont disparu. On retrouve une première trace de la monnaie de compte au VIe siècle, dans la loi salique, à propos du tarif des amendes. Sans doute, à l’origine, les Francs Saliens calculaient les compositions non en monnaie, mais en denrées (chevaux, bœufs, pièces d’étoffe), suivant un système dont on retrouve encore des traces à l’époque historique chez les Francs Ripuaires et chez les Frisons. L’habitude fut prise, sous l’influence romaine, de compter ces amendes en deniers, puis en sous: il ne s’agit pas d’espèces monétaires, extrêmement rares à ces époques, mais de moyen d’évaluation, d’échelle de valeurs. La preuve en est l’équivalence existant, à partir du VIe siècle, dans la coutume: un sou = quarante deniers. Si le sou d’or existe bien, plutôt sous la forme d’un demi-sou ou d’un tiers de sou, par suite de la raréfaction du métal, il comporte de moins en moins d’or, et ne doit donc point représenter une valeur constante; quant au denier, il n’existe pas. Le rapport 1 sou = 40 deniers n’exprime donc pas une équivalence réelle des deux espèces monétaires, mais sans doute simplement le rapport de valeur approximatif de l’or et de l’argent. La réforme carolingienne vint mettre un terme à cette pratique, sans doute fort incommode, en fixant un nouveau rapport entre l’or et l’argent et en unifiant les frappes monétaires. On fixa que 1 sou = 12 deniers, et l’on créa une unité de compte nouvelle, la livre: 1 livre = 20 sous. La valeur de la livre (240 deniers) était donnée par le fait que Charlemagne avait prescrit de tailler 240 deniers dans une livre d’argent. Ce système est à la base de la monnaie de compte du Moyen Âge. Il faut noter que, dès l’origine, seul le denier avait une existence réelle. Le sou d’or n’était plus frappé et constituait, comme la livre, une simple unité monétaire destinée à faciliter les calculs de sommes importantes, comptées en chiffres romains. Unité de compte et non pas monnaie de compte, car un sou et une livre pouvaient toujours se réaliser sous la forme d’une somme donnée et constante de deniers. La valeur de monnaie de compte apparaît mieux quand il s’agit de sommes évaluées en deniers, sous et livres, mais payées en nature, conséquence de la raréfaction des espèces monétaires.En réalité, la véritable instauration de la monnaie de compte date du XIIIe siècle, avec la reprise de la frappe de monnaies d’or et d’argent et la démonétisation du denier: le compte à deniers, sous et livres, devient l’échelle des valeurs et des espèces monétaires ayant cours. Ce système était sans doute indispensable avec des espèces métalliques d’or et d’argent: la valeur de chaque pièce contenant un poids donné d’or ou d’argent étant dépendante du cours de l’or et de l’argent, il est utile de disposer d’un système de références pour suivre les variations de prix des métaux précieux. Mais ce double système allait permettre les mutations monétaires qui sont le phénomène le plus important de l’histoire monétaire et de l’histoire économique du Moyen Âge classique. La mutation monétaire existait déjà auparavant, mais il s’agissait d’une mutation monétaire réelle: l’autorité royale pouvait modifier la teneur en argent du denier et changer ainsi sa valeur.À partir de la fin du XIIIe siècle, il devient possible, sans toucher à une espèce monétaire ayant cours, de modifier sa valeur; une ordonnance peut décréter qu’une monnaie ayant cours pour 20 sous en vaudra désormais 22 ou, inversement, 18. Dans le premier cas, il s’agit, dans le vocabulaire traditionnel, d’un affaiblissement de la monnaie, dans le deuxième cas, d’un renforcement. Cette manière de jouer sur la valeur des espèces monétaires ayant cours introduisit, dans le royaume de France, un désordre catastrophique. Les opérations se commandent l’une l’autre dans un cycle infernal. «La mauvaise monnaie chasse la bonne», c’est-à-dire que seules les espèces surévaluées (et par là même affaiblies) ont cours, car les bonnes monnaies valent plus que leur cours officiel: on les retire donc de la circulation, on les thésaurise, on les exporte ou on les refond. S’il s’agit donc de temps en temps de «renforcements», la tendance la plus générale est à l’«affaiblissement». Les espèces monétaires contiennent de moins en moins de métal précieux, ou, si la quantité est constante, la valeur d’estimation ne cesse d’augmenter. La livre tournois, sous Louis XVI, représentait en or environ 3,4 p. 100 du poids de métal qui, sous Saint Louis, avait correspondu à la même valeur monétaire. En argent, le même rapport s’établissait à 5,5 p. 100 environ.La population souffrit beaucoup de ces mutations, qui sont, dans la France du XIVe et du XVe siècle, un phénomène trop général pour ne pas avoir été une nécessité. Mais le système de la monnaie de compte parut si peu la cause de ces mutations qu’il subsista jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. De plus, d’autres monnaies de compte s’établirent et l’on peut dire que toute monnaie réelle tend à devenir, après que sa frappe a cessé, une monnaie de compte.Sous le régime monétaire de l’ancienne France, quand la valeur des espèces monétaires peut être changée soit en modifiant la quantité de métal précieux qu’elles contiennent, soit en modifiant simplement leur cours, par ordonnance royale, la monnaie de compte est une nécessité de la vie économique.
Encyclopédie Universelle. 2012.